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Autour de Lucie

Pop-Rock

C’était il y a 20 ans, Autour de Lucie débarquait dans le paysage de la pop française comme une belle évidence. En trouvant l’accord parfait entre influences anglophiles et paroles en Français, Valérie Leulliot, au gouvernail de ce groupe élégant et lettré, ouvrait alors la voie à bien des filles d’ici, en pionnière d’une douce émancipation. Formation combinatoire autour de Valérie, Autour de Lucie a publié quatre albums en dix ans, connu quelques succès et accumulé beaucoup d’estime avant de refermer un premier chapitre en 2004, après un disque volontiers solaire qui laissait de belles promesses en suspend. En 2007, Valérie Leulliot publiait sous son nom le très personnel et intime Caldeira, parenthèse à l’orientation folk où elle inaugurait une collaboration au long cours avec le multi-instrumentiste Sébastien Lafargue. Jamais vaccinée toutefois des émulations que procure un groupe, elle rejoignait en 2008 le projet de roman musical Frère animal écrit par Florent Marchet et Arnaud Cathrine, participant dans le même élan à son adaptation sur scène au cours des années suivantes. Aussi, au fil du temps et des expériences collectives, l’idée de réactiver Autour de Lucie aura fait son chemin et les chansons ne tarderont pas à voir le jour, Valérie et Sébastien croisant leurs plumes et leurs envies musicales sous ce nom qui a toujours été synonyme d’ouverture et d’échanges. Un premier single, Ta lumière particulière, publié lors de l’édition 2013 du Disquaire Day, offrait un aperçu de cette ADL nouvelle version, qui préserve l’essentiel de l’ADN originel étendu à d’autres influences, nourri par cette décennie de mise en veille et stimulé par l’excitation des retrouvailles. Deux années supplémentaires seront nécessaires pour peaufiner une grammaire musicale inédite, recoudre en parallèle le fil de l’histoire et ouvrir le second chapitre dévoilé aujourd’hui avec Ta lumière particulière – l’album.

« Cours, petite sœur, et dans l’horizon ne cherche pas hier, goûte les saisons comme si c’était les premières » chante Valérie sur le très emballé Détache, à l’entame d’un disque sans nostalgie, résolument tourné vers l’avant, qui alternera pop-songs intrépides et ballades atmosphériques, comme une nouvelle saison d’une série connue mais totalement réinventée. Entièrement co-écrites par Valérie et Sébastien, ces neuf chansons qui prennent le temps de décanter leurs arômes ont aussi pris le temps de fleurir. Sébastien a joué de tous les instruments (sauf les batteries, signées Antoine Kerninon), Valérie a posé des voix délicatement stratifiées, tandis qu’à l’abri des regards et des convulsions citadines, ils ont ordonnancé le tout au studio Le Hameau, dans le Perche, avec l’ingénieur du son Laurent Binder pour seul vis-à-vis.

Souvent directes, simples, pointées vers le cœur, ces chansons reposent néanmoins sur des mécanismes d’horlogerie pointilleux, qui articulent entre eux des rouages acoustiques et électroniques, traversées par endroits de lueurs électriques et ailleurs baignées par de somptueux contre-jours. Telle est la lumière particulière d’ADL. Depuis toujours, Autour de Lucie est aussi un abolisseur de frontières, et si ce groupe a toujours intrigué et dérouté, c’est parce qu’il a su trouver une voix médiane et singulière entre le classicisme pop et l’expérience
avec les sons, comme le prouve une nouvelle fois ce cinquième album. Le long crescendo effervescent de Ok Chaos (computer ?) en offre un bel aperçu. Les remous indolents d’Ilienne (variation sur la possibilité d’un exil) et sa fin déterminée et conquérante, le faux-rythme dansant du Goût des chardons, la mélancolie balnéaire de Brighton Beach sont autant de tableaux mouvants qui montrent combien les chansons d’Autour de Lucie ne sont jamais des fleuves tranquilles. Des échos savamment dosés en provenance des années 80 (les claviers, basses synthétiques et batteries des deux premier singles Détache ou de Où ça va) répondent sans faux raccords à des guitares en torches du rock indé 90’s, le tout centrifugé au présent. Un carambolage d’époques et de genres qui prend toute sa mesure avec la chevauchée pop et sonique de Cheval étincelle, en hommage à l’immense leader disparu de Sparklehorse, Mark Linkous. Et comme par un subtil effet de miroir, c’est une chère disparue qui adresse les derniers mots déchirants de C’est là que je descends, pour un final qui ne manque pas non plus d’étincelles. Après dix ans d’interruption, comme avec tout ce qui est cher et précieux, on mesure mieux combien cette lumière si particulière nous avait manqué.

CHRISTOPHE CONTE